• Contes et légendes du Viêt Nam (13)

     

    Papy, conte-nous ta terre lointaine (13) 

     

    13. Les animaux sont plus reconnaissants

    que les hommes

     

     

    - Papy, on aime bien tes histoires d’animaux ! On voit que tu es vétérinaire !

     

    - Mais non, mes chers petits-enfants, nul n’a besoin d’être vétérinaire pour aimer les animaux. D’ailleurs dans ma terre lointaine, un vieux dicton dit que les animaux sont plus reconnaissants que les hommes, et les gens qui disent cela ne sont point des vétérinaires !

     

    - Tu veux bien nous illustrer ce dicton avec un exemple, s’il te plaît !

     

    - Oui, mes petits chéris, voici une histoire d’animaux plus reconnaissants que les hommes.

     

    C’est l’histoire d’un pauvre pêcheur nommé Câu, qui désespérait de voir que les poissons avaient déserté le fleuve qui bordait son village.

     

    Un jour, Câu pêchait du lever du soleil jusqu’à midi sans attraper la moindre ablette, mais les appâts disparaissaient régulièrement un à un de son hameçon. Voilà que le bouchon plongea violemment ! Il retira doucement la ligne dans l’espoir de voir un gros poisson au bout. Mais hélas, ce n’était pas un poisson mais un long serpent d’eau. Il décrocha le serpent et le rejeta dans le fleuve.

     

    Peu de temps après, quand le bouchon plongea de nouveau, c’était encore le même serpent que Câu trouva accroché à l’hameçon. Il le remit une deuxième fois dans l’eau.

     

    Une heure après, Câu retira de l’eau le même serpent pour la troisième fois. Désespéré il se plaignit :

     

    - Ô serpent, pourquoi m’embêtes-tu ainsi. Tu as mangé tous mes appâts et je n’ai plus d’argent pour en acheter d’autres !

     

    À son grand étonnement, le serpent se dressa devant lui et lui tint ce discours :

     

    - Pauvre pêcheur, ne me fais pas de mal ! Je suis le fils du Comte du Fleuve qui règne au fond de ce cours d’eau. En me promenant par ici, j’ai été touché par ton désespoir, c’est pourquoi j’ai insisté pour te venir en aide. Garde-moi avec toi, et je te montrerai les endroits où se cachent les poissons.

     

    Bien que très étonné d’entendre parler un serpent, Câu ramena le serpent à la maison et lui offrit chaque jour soit une grenouille soit un crapaud dont le serpent se régalait.

     

    Et tous les matins, ils partaient tous les deux vers les méandres du fleuve indiqués par le serpent. Effectivement, ces recoins regorgeaient de poissons de toutes les espèces et tous de belles tailles. Il y en avait tellement que Câu dut acheter un grand filet pour les attraper, car sa petite canne à pêche ne suffisait plus pour tant de prises.

     

    Câu devenait ainsi un commerçant fort aisé de son village. On disait même qu’il serait parmi les gens les plus riches de la région !

     

    Puis un matin, avant de partir à la pêche, le serpent lui dit :

     

    - Je te signale qu’il va y avoir une grosse tempête suivie de grandes inondations sur toute la région. Construis donc un radeau pour y installer tous tes biens !

     

    Câu en avertit les habitants du village mais personne ne l’écouta, car le temps était au beau fixe depuis des mois, sans qu’il y eût un seul nuage à l’horizon.

     

    - Tant pis pour eux ! se dit Câu en construisant un grand radeau en bambous, sur lequel il posa aussi une paillote.

     

    Il y transporta tout ce qu’il avait de plus précieux : ses meubles, ses filets et ses cannes à pêche et, surtout, l’argent qu’il avait pu économiser.

     

    Trois jours après, un grand typhon s’abattit sur le pays. Le niveau de la mer déborda les digues et toute la région fut inondée. Beaucoup d’habitants se noyèrent et la plupart des survivants avaient tout perdu, maison, meubles, économies et bétail.

     

    Réfugié sur son radeau couvert, Câu était le seul au sec, toujours accompagné de son ami le serpent. En s’éloignant de sa maison pour chercher un endroit où l’eau serait moins profonde, il entendit soudain le serpent lui crier :

     

    - Regarde là-bas, une famille de fourmis est en train de se noyer ! Sauve-les et ramène-les à bord !

     

    - Pourquoi faire ? Ce ne sont que de petites bestioles qui piquent !

     

    - Sauve-les quand même, et ces petites fourmis rendront ton bienfait au centuple !

     

    Câu obéit et tendit sa rame aux fourmis qui montèrent à la queue-leu-leu sur le radeau.

     

    Un peu plus loin, le serpent dit de nouveau à Câu :

     

    - Sauve donc ce rat qui se noie !

     

    - Mais c’est une bête nuisible qui mange nos récoltes ! lui répondit Câu.

     

    - Sauve-le quand même, et il te sera reconnaissant !

     

    Câu obéit et ramena le rat à bord avec sa rame, puis continuait de ramer vers la colline d’en face. Le radeau évita de justesse un rocher qu’on voyait à peine hors de l’eau. Le sommet du rocher se mit à bouger : c’était un grand python qui s’y était réfugié pour échapper à la montée des eaux.

     

    - Sauve donc le python avant qu’il se noie, ordonna encore le serpent.

     

    - Mais c’est une bête féroce, répliqua Câu.

     

    - Sauve-le quand même, et il te sera reconnaissant !

     

    Câu obéit de nouveau, en se disant qu’il était inutile de discuter avec un serpent aussi têtu.

     

    Le radeau n’était plus très loin de l’endroit que Câu voulait atteindre, quand il vit un homme accroché à une petite planche, en train de se noyer. Il s’en approcha pour le sauver.

     

    - Ne fais pas çà ! lui cria le serpent.

     

    - Mais c’est un homme, répondit Câu. Ne dit-on pas habituellement que « sauver un homme qui se noie vaut dix mille mérites au paradis » ?

     

    - Laisse-le, car il ne t’apportera que des ennuis.

     

    Mais Câu n’écouta plus le serpent et hissa l’homme sur le radeau. Il lui donna à manger après lui avoir offert des vêtements secs. L’homme raconta alors, en pleurant, qu’il avait perdu toute sa famille emportée par les eaux et qu’il ne possédait plus rien, ni maison ni argent. Comme il était plus jeune que lui, Câu par pitié le nomma « Petit Frère ».

     

    - Ne t’inquiète pas, Petit Frère, tu vas rester avec moi. Quand les eaux se seront retirées, tu viendras vivre chez moi.

     

    Ce fut seulement un mois après que les eaux se retirèrent complètement. Les rescapés se réinstallaient tant bien que mal dans leurs maisons dévastées. Seul Câu pouvait restaurer rapidement la sienne car il avait pu sauver tous ses biens grâce aux conseils du serpent. Il accueillait confortablement chez lui l’homme qu’il avait sauvé de la noyade, et tous les deux vivaient comme deux frères.

     

    - Cher Câu, il faut que je rentre, lui dit un jour le serpent. Ma longue absence doit inquiéter mon père, le Comte du Fleuve. Je t’invite à visiter notre palais.

     

    - Mais je ne sais aller au fond du fleuve sans me noyer, répondit Câu.

     

    - Ne t’inquiète pas. Comme tu es mon invité, les eaux s’ouvriront pour te laisser descendre sans problème.

     

    Câu accepta l’invitation du serpent. Mais avant de partir, celui-ci lui recommanda encore :

     

    - Sûrement, mon père t’offrira de beaux cadeaux. Mais n’accepte rien d’autre que le luth qui se trouve dans la salle d’audience. C’est un instrument magique, et quand on le joue, aucun ennemi ne peut envahir notre pays.

     

    En effet, dans le palais des eaux, Câu était ébloui par tant de trésors : des perles, des coraux, des écailles de toutes les couleurs et d’énormes pépites d’or étaient entassés un peu partout dans les salles et les couloirs. Et quand Câu voulut repartir, le Comte du Fleuve lui dit :

     

    - Bon ami de mon fils, choisis parmi toutes ces pièces ce qui te fera le plus plaisir et je te l’offrirai.

     

    - Monseigneur, j’ai toujours rêvé d’apprendre la musique, ce luth me rendra bien service.

     

    Ne pouvant pas renier sa promesse, le Comte du Fleuve offrit à Câu le luth magique, bien qu’il fût très ennuyé, car c’est le moyen de défense de son fief.

     

    Après avoir remercié chaleureusement le Comte du Fleuve et son fils le serpent, Câu les quitta et rentra chez lui. Il montra le luth à Petit Frère et lui raconta son histoire, puis il rangea l’instrument dans une armoire en recommandant à son ami de ne pas y toucher.

     

    Quelque temps après, Câu s’absenta pour la semaine entière afin d’aller vendre ses poissons à la capitale. Mais voilà qu’une puissante armée d’un pays voisin envahit le royaume. Tout le monde, depuis le roi jusqu’au moindre paysan, était très inquiet.

     

    Petit Frère ouvrit l’armoire, vola le luth et se présenta devant le roi :

     

    - Sire, permettez-moi de jouer de ce luth magique pour repousser les ennemis.

     

    Bien sûr, en désespoir de cause, le roi accepta la proposition, même sans trop y croire.

     

    Petit Frère se porta illico devant l’immense campement des envahisseurs étrangers, et commença à pincer les cordes du luth. Immédiatement, tous les éléments de cette grande armée, depuis les généraux jusqu’aux simples soldats, tremblèrent de terreur. Ils abandonnèrent précipitamment leurs armes et s’enfuirent à qui mieux mieux, tant bien que mal.

     

    Le royaume fut ainsi sauvé, sans qu’une goutte de sang fût versée. Pour récompenser Petit Frère de son incroyable exploit, le roi le nomma généralissime de son armée avec le titre de Grand Sauveur de la Nation.

     

    Trois mois après, Câu, en revenant à la capitale vendre ses poissons, croisa un grand cortège, avec Petit Frère fièrement en tête sur son cheval richement harnaché.

     

    - Hé Petit Frère, c’est moi Câu ! le héla-t-il.

     

    Mais Petit Frère, craignant que son vol du luth ne fût ainsi révélé, fit arrêter Câu par sa garde et ce dernier se retrouva au cachot de la garnison.

     

    Pendant que, affamé, il se morfondait en pestant contre l’ingratitude de l’homme qu’il avait sauvé, il entendit appeler :

     

    - Hé, Monsieur, que faites-vous là dans ce cachot ?

     

    - Mais qui me parle ainsi ?

     

    - Nous sommes les fourmis que vous avez sauvées !

     

    Alors Câu leur raconta sa mésaventure.

     

    - Nous sommes trop petites et impuissantes. Mais nous allons chercher le rat. Il est très malin et il saura vous aider.

     

    Le rat entra après dans le cachot par un trou du sol.

     

    - Bon Monsieur, mangez donc ce rôti et ce gâteau que je viens de chiper à la cuisine de la garnison. Pendant ce temps, je vais rendre visite au python, qui est le très savant sorcier de la forêt, pour lui demander un moyen de vous sortir de là.

     

    Le rat trotta en vitesse jusqu’à la forêt et, tout en restant prudemment à distance car les pythons aiment bien dévorer les rats, il s’adressa au python :

     

    - Notre bienfaiteur est injustement jeté en prison. Que peux-tu faire pour le sortir de là ?

     

    Le python cracha alors une perle noire vers le rat en lui disant :

     

    - Notre sauveur n’a qu’à frotter cette perle magique dans un bol d’eau. Ensuite il fera boire cette eau perlée à la princesse qui était devenue muette. Ainsi il pourra sortir de la prison et plaider son innocence auprès du roi.

     

    En effet, le roi était alors très embêté à la Cour : sa fille unique, qui devrait épouser le prince héritier du royaume voisin - celui des envahisseurs récents - afin de conclure un traité de paix entre les deux pays, était devenue subitement muette à la suite de l’attaque d’un mauvais vent.

     

    Câu reçut la perle rapportée par le rat et écouta, ravi, les recommandations du rongeur. Il frappa bruyamment à la porte de son cachot en criant :

     

    - Ho geôliers ! Ouvrez-moi pour que j’aille soigner la princesse muette.

     

    Et le miracle eut lieu comme l’avait prédit le python : dès qu’elle eut bu tout le bol d’eau perlée que lui administra Câu, la princesse éclata de joie :

     

    - Père, je suis guérie ! Tu peux faire continuer les préparatifs de mes noces !

     

    Câu put par la suite raconter au roi toute sa triste histoire et se justifier de son innocence. Le roi le remercia et le combla de riches récompenses, pendant qu’il envoya Petit Frère en prison pour cause de vol et de félonie.

     

    Voilà, mes chers petits-enfants, les animaux sont souvent plus reconnaissants que les humains ! Mais il ne faut pas généraliser, car il existe aussi des hommes et des femmes qui sont très bons et très justes !

     

     

    Source.

     

    ‘‘Cứu vật vật trả ân, cứu nhân nhân trả oán’’ (‘‘Sauvez un animal et il vous rendra sa reconnaissance, sauvez un homme et il vous rendra sa rancune’’), in Nguyễn Đổng Chi, Kho tàng truyện cổ tích Việt Nam (Le trésor des légendes et des contes du Việt Nam), op. cit., t. 1, pp. 383-387. 

     

     

     

     

     

     

     


  • Commentaires

    1
    Jacques Premel-Cabic
    Lundi 28 Mars 2016 à 08:38

    Géniale, cette histoire est géniale, c'est un petit film plein de rebondissements qui vous entraîne, vous emporte. Et comme cela se termine par une touche morale, on peut considérer ce conte comme une fable en prose. Quel bonheur d'apprendre que Le Vietnam possède également son La Fontaine !!!

    Merci cher Dông Phong pour ton "racontage" magnifique venu égayer ce dimanche pascal gris et tempétueux.

    Que les cloches de Pâques  reviennent vers toi et tes chers avec leurs jolies sonnailles. Vous le méritez tant !

     

    En toute amitié,

     

    Jakez

     

      • Lundi 28 Mars 2016 à 10:43

        Oui, cher Jakez, nos contes et légendes servent aussi à l'éducation des enfants.

        Bonne semaine, 

        Bien amicalement.

        Dông Phong

         

         

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    2
    Jacques Premel-Cabic
    Lundi 28 Mars 2016 à 08:40

    Il s'agit bien de lundi et non de dimanche  bien sûr !

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