• Contes et légendes du Viêt Nam (15)

     

    Papy, conte-nous ta terre lointaine (15) 

     

     

    15. Le lac de l’Épée Restituée

     

     

    - Qu’est-ce qu’on peut faire cet après-midi, papy ? Il pleut sans arrêt !

     

    - Je vais vous montrer les photos de ma terre lointaine. Commençons par ma ville natale, Hanoi.

     

    - Houlala ! Toutes ces motos ! Ce doit être pénible de vivre dans une ville aussi encombrée ! La ville doit être aussi très bruyante !

     

    - Oh, il y a aussi des endroits très agréables comme ce lac de l’Épée Restituée que j’aime bien.

     

    - Que fait cette maison au milieu du lac ?

     

    - Ce n’est pas une maison, c’est la Tour de la Tortue.

     

    - Drôles de noms pour un lac ! Peux-tu nous expliquer la relation entre l’épée et la tortue ?

     

    - Bien sûr, c’est une histoire que tous enfants de là-bas apprennent par cœur.

     

    L’histoire avait lieu pendant l’invasion de ma terre lointaine par les Chinois Ming entre 1407 et 1427, quand le pays s’appelait le royaume du Đại Việt ou Grand Việt.  C’était une occupation terrible, avec des pillages systématiques : les Chinois confisquaient toutes les richesses, depuis le riz jusqu’aux livres, en passant par l’or et les objets précieux. De nombreuses révoltes eurent lieu, mais les Vietnamiens étaient mal armés et échouaient souvent dans leurs tentatives de résistance face à la puissante armée chinoise. Parmi ces résistants, un homme nommé Lê Lợi menait une guérilla désespérée dans la province de Thanh Hóa, au sud du Tonkin. Souvent battus, Lê Lợi et ses compagnons devaient la plupart du temps se réfugier dans les forêts et les montagnes de Lam Sơn.

     

    À cette époque, non loin de là, un jeune pêcheur du nom de Lê Thận (Thận étant son prénom) vivait tant bien que mal de son métier.

     

    Un soir, quand Thận retira son filet du fleuve où il pêchait, il sentit que sa prise pesait beaucoup plus lourd que d’habitude. « Ce doit être un gros poisson ! », se dit-il tout heureux. Mais il déchanta vite : au lieu de poisson, il n’avait pêché qu’une barre métallique couverte d’algues. Dépité, Thận la rejeta dans le fleuve, et déplaça sa barque pour lancer son filet à un autre endroit, plus favorable, pensa-il.

     

    Quand il retira le filet de l’eau, ce fut encore cette barre métallique qu’il pêcha. Il la rejeta de nouveau dans l’eau et déplaça sa barque encore beaucoup plus loin.

     

    Mais là aussi, pour la troisième fois, il ne pêcha que cette grande barre métallique couverte d’algues. Intrigué, il la nettoya sommairement et s’aperçut que c’était une lame d’épée dépourvue de poignée. Il ne la rejeta plus dans l’eau mais la garda au fond de sa barque. « Elle pourra toujours me servir pour découper mes poissons », se dit-il. Puis, il déplaça de nouveau sa barque vers l’aval du fleuve. Et à cet endroit, cette fois-ci, sa pêche fut abondante.

     

    De retour chez lui, Thận nettoya soigneusement l’épée puis l’accrocha au pilier principal de sa maison.

     

    Pendant ce temps, Lê Lợi et ses partisans continuaient leurs escarmouches contre les Chinois, avec de temps en temps quelques modestes succès. Leur réputation commençait à se répandre dans tout le pays, et de nombreux volontaires les rejoignaient. Le pêcheur Lê Thận lui aussi s’engagea dans leurs rangs.

     

    Un jour, en fuyant devant les Chinois qui les pourchassaient, Lê Lợi et quelques uns de ses compagnons s’arrêtèrent à la maison abandonnée de Thận pour se reposer. Dès qu’ils entrèrent, l’épée accrochée sur le pilier se mit à briller d’une lumière extraordinaire en mettant en évidence deux caractères chinois gravés sur la lame : Thuận Thiên ou Selon la Volonté du Ciel, dont ni Lê Lợi ni aucun de ses amis ne comprenaient la signification.

     

    Mais les Chinois s’approchaient, Lê Lợi et ses compagnons durent s’enfuir précipitamment, en laissant  l’épée toujours accrochée à sa place sur le pilier de la maison.

     

    Quelque temps plus tard, les Chinois envoyèrent un régiment puissamment armé pour les combattre, et ce fut la déroute pour les troupes de Lê Lợi. Les partisans se sauvèrent comme ils pouvaient, chacun de son côté.

     

    Lê Lợi et quelques uns de ses fidèles se réfugièrent de nouveau dans la forêt.

     

    Un matin, Lê Lợi aperçut quelque chose qui brillait sur la branche la plus élevée d’un banian multi-centenaire. Curieux, il grimpa dans l’arbre : c’était une poignée d’épée en or, finement ciselée et incrustée de perles. Il la décrocha et, après être descendu, il la montra à ses compagnons. L’ancien pêcheur Thận fut le premier à donner son avis :

     

    - Peut-être est-ce la poignée manquante de l’épée que j’ai pêchée ?

     

    Mais toute la compagnie en était sceptique, disant que c’était peu vraisemblable. Alors, en poursuivant son intuition, Thận courut sans s’arrêter jusqu’à sa maison pour chercher  l’épée. Trois jours plus tard, tout essoufflé, il la présenta à Lê Lợi.

     

    Celui-ci sortit de sa besace la poignée qu’il avait décrochée du banian. Et là, miracle : la poignée se fixa d’elle-même sur l’épée ! Thận l’offrit à Lê Lợi :

     

    - Seigneur, voilà la signification des caractères Selon la Volonté du Ciel que nous n’avions pas compris ! C’est le Ciel qui vous a envoyé cette épée !

     

    Lê Lợi accepta l’offrande, puis rassembla ses troupes éparpillées dans les forêts et dans les montagnes, pour reprendre le combat.

     

    Grâce à l’épée magique, Lê Lợi et ses partisans, de plus en plus nombreux, volèrent de victoire en victoire. Et à la fin de l’année 1427, ils réussirent à bouter les Chinois hors du pays.

     

    Au début de l’année suivante, 1428, Lê Lợi monta sur le trône du royaume du Đại Việt (ou Grand Việt), en fondant la longue dynastie des Lê Postérieurs, dont les rois allaient régner jusqu’en 1788.

     

    Un jour de beau temps, le roi Lê Lợi se promena sur un lac qui se trouvait alors hors de la cité royale de la capitale. Au milieu du lac, sa galère royale fut arrêtée par une tortue géante.

     

    La tortue, en nageant à la surface de l’eau, s’adressa au roi :

     

    - Sire, je suis envoyée par le Roi Dragon pour récupérer l’épée magique qu’il vous a prêtée. Maintenant qu’elle vous a bien servi, vous voudrez nous la restituer !

     

    Lê Lợi sentit alors bouger l’épée qu’il portait toujours à la ceinture. Il la sortit de son fourreau, et immédiatement elle s’échappa de sa main pour s’envoler jusqu’à la tortue. Celle-ci l’attrapa prestement avec sa bouche, puis après avoir salué le roi, elle plongea dans les profondeurs du lac et disparut en laissant une trainée lumineuse derrière elle.

     

    Depuis cette époque, on appelle ce lac, qui se trouve maintenant en plein centre de Hanoi, le lac de l’Épée Restituée. Un monument, baptisé la Tour de la Tortue, fut construit par la suite au milieu du lac, en hommage à la tortue géante envoyée par le Roi Dragon pour récupérer l’épée magique. Depuis le 15ème siècle, on espère vainement y revoir cette fameuse tortue.

     

    Vous voyez, mes chers petits-enfants, l’histoire est toujours fabuleuse dans ma terre lointaine !

     

     

     

     

    Sources.

     

    Đại Việt sử ký toàn thư (Mémoires historiques au complet du Đại Việt), op. cit., t. I, pp. 222-290.

     

     

    ‘‘Sự tích Hồ Gươm’’ (‘‘Légende du Lac de l’Épée’’), in Nguyễn Đổng Chi, Kho tàng truyện cổ tích Việt Nam (Le trésor des légendes et des contes du Việt Nam), op. cit., t. 1, pp. 237-239. 


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