• Contes et légendes du Viêt Nam (17)

     

    Papy, conte-nous ta terre lointaine (17) 

     

    17. Quan Âm

     

     

    - Tu as beaucoup de jolies photos de ta terre lointaine, papy ! Mais pourquoi, dans les temples que tu as visités, on ne voit que des statues d’hommes ?

     

    - Mais non, mes chers petits-enfants, regardez donc cette photo-là : c’est bien une dame !

     

    - Vrai, c’est une dame ! Mais elle semble perdue parmi tous ces hommes ! Comment s’appelle-t-elle ?

     

    - C’est la déesse de la Miséricorde Quan Âm. Je vais vous raconter son histoire.

     

    Il était une fois une jeune fille d’origine modeste nommée Thị Kính qui vivait dans le royaume du Matin Calme, c’est-à-dire en Corée. Elle était très belle mais ne s’intéressait à rien d’autre que de rendre service aux personnes nécessiteuses.

     

    Sa beauté et sa gentillesse lui attiraient beaucoup de riches prétendants, mais elle les refusait tous, au grand dam de ses parents qui aimeraient bien la voir mariée pour leur offrir des petits-enfants. À la fin elle céda à leur pression et se maria avec un étudiant nommé Sĩ, de la famille des Sùng qui était aussi modeste que la sienne.

     

    Comme Sĩ était encore étudiant sans ressources propres, le couple s’installait chez les parents Sùng. Pendant que Sĩ se livrait jour et nuit à ses longues et difficiles études en vue du concours des lettrés de l’année suivante, Thị Kính faisait des petits travaux de couture pour gagner un peu d’argent.

     

    Un soir, Sĩ, trop fatigué, s’assoupit sur sa table de lecture. Alors Thị Kính abandonna son travail de couture en cours pour déplacer la lampe à huile posée sur la table afin que son mari ne se brûlât pas. En s’approchant, Thị Kính aperçut un poil qui poussait à rebours sous le menton de Sĩ.

     

    « Ce poil est un signe très néfaste ! Il faut que je l’enlève ! », se dit Thị Kính. En effet dans son pays, les gens croient qu’un tel poil porte malheur.

     

    Sitôt dit, sitôt fait : Thị Kính prit une paire de ciseaux de couturière et tenta de couper ce mauvais poil, sans faire de bruit pour ne pas déranger son mari qui dormait. Mais celui-ci se réveilla en sursaut et, en s’agitant, il se blessa à la gorge avec les ciseaux que Thị Kính tenait dans la main.

     

    - Pourquoi, veux-tu me tuer ? hurla-t-il, paniqué.

     

    Madame Sùng, qui dormait dans la pièce voisine, se précipita dans la chambre du jeune couple. Et en voyant la gorge ensanglantée de son fils qui criait, elle accusa violemment Thị Kính de tentative de meurtre. Il faut dire aussi qu’elle n’avait jamais apprécié que Thị Kính lui avait « pris » son fils unique.

     

    Thị Kính expliqua calmement à sa belle-mère et à son mari ce qu’elle avait voulu faire : simplement couper le mauvais poil du menton de son mari pour lui éviter tout malheur potentiel. Mais il n’y avait rien à faire, les faits étaient si évidemment contre elle. Le lendemain, elle fut chassée de la maison des Sùng.

     

    Thị Kính retourna vivre chez ses parents, où personne n’eut pitié d’elle, même pas ses propres parents qui en avaient très honte. Toutes ses anciennes amies ne voulurent plus avoir des relations avec une « sale meurtrière », comme elles l’appelaient.

     

    Méprisée et abandonnée de tous, Thị Kính était désespérée. Un matin, elle s’habilla de vêtements masculins et alla frapper à la porte de la pagode du village pour demander asile. Le bonze supérieur l’accueillit avec compassion, lui confia les travaux d’entretien du temple, et enfin lui permit d’étudier comme apprenti-bonze sous le nom de Kính Tâm (Cœur Respectueux). Mais, même déguisée en homme, Thị Kính allait être de nouveau poursuivie par son mauvais sort.

     

    La pagode, qui avait une grande renommée, était très fréquentée par les fidèles, principalement au 1er et au 15ème jour de chaque mois lunaire. Lors d’une cérémonie, une jeune fille remarqua la beauté du jeune bonzillon Kính Tâm et en tomba follement amoureuse, bien qu’elle sût que les bonzes, même apprentis, devaient faire vœu de célibat. Elle revenait souvent à la pagode et harcelait Kính Tâm de ses charmes. Mais Kính Tâm déclinait fermement ses avances.

     

    Au bout de quelques mois de séduction inutile, la jeune amoureuse éconduite devenait complètement hystérique. Puis, une nuit, toute frustrée, elle se donna sans plaisir à un voisin qui la convoitait depuis longtemps. Et elle en tomba enceinte.

     

    Neuf mois après, cette perverse accoucha en cachette d’un beau petit garçon dont elle ne savait que faire. Elle le déposa à la porte de la pagode avec une petite lettre déclarant que le bonzillon Kính Tâm en était le père. Kính Tâm ne pouvait que se taire, de peur de révéler son état de femme. Sa résignation était comprise par tous les bonzes présents comme un aveu de son forfait.

     

    Devant un tel scandale, Thị Kính fut chassée de la pagode avec l’enfant dans les bras. En outre, toujours dans ses habits d’homme, elle fut traduite devant le tribunal provincial qui la condamna à être fouettée en public de 50 coups de rotin.

     

    Abandonnée par tous, Thị Kính, toujours déguisée en homme, allait errer dans toute la région pour mendier de quoi nourrir « son » enfant. Malgré ses souffrances à la fois physiques et morales, elle serrait les dents pour supporter les insultes et les railleries que lui adressaient les passants. Sa seule consolation était l’enfant qui la suivait partout et qu’elle élevait dignement en dépit de leur pauvreté.

     

    Au bout de six ans d’errance et de mendicité, l’enfant a bien grandi. Mais Thị Kính était épuisée. Un soir, très malade, elle revint à la pagode pour demander de l’aide. Mais c’était trop tard, et avant que les bonzes pussent faire quoi que ce fût, elle s’affaissa et mourut.

     

    Le lendemain, en faisant la toilette de son cadavre en vue d’un enterrement de charité, les bonzes s’aperçurent avec surprise que leur ancien confrère Kính Tâm était en réalité une femme. Alors le Bouddha apparut et leur dit :

     

    - Voilà une sainte femme. Elle mérite que je la nomme Quan Âm, la déesse de la Miséricorde.

     

    Quan Âm signifie en effet Celle qui voit et qui entend les misères du monde. Depuis cette déclaration du Bouddha en sa faveur, le culte de la déesse Quan Âm s’est propagé de la Corée à tous les pays d’Extrême-Orient, Chine, Japon, Viêt Nam, etc…C’est pourquoi l’on voit sa statue dans presque toutes les pagodes.

     

    Ainsi, mes chers petits-enfants, si un jour vous avez de la peine, faites une petite prière à Quan Âm, et elle vous viendra sûrement en aide !

     

    Et quand vous subissez une injustice calomnieuse, dites : « c’est comme l’injustice subie par Thị Kính ! ». C’est une expression qui est utilisée dans le langage courant de ma terre lointaine.

     

     

    Sources.

     

    ‘‘Quan Âm Thị Kính’’, in Nguyễn Đổng Chi, Kho tàng truyện cổ tích Việt Nam (Le trésor des légendes et des contes du Việt Nam), op. cit., t. 2, 1377-1380.

     

    ‘‘La sainte à l’enfant’’, in Phạm Duy Khiêm, Légendes des Terres Sereines, Taupin et Cie Éditeurs, Hanoi, 1943, pp. 27-32.

     

     

     

     


  • Commentaires

    1
    Jacques Premel-Cabic
    Vendredi 27 Mai 2016 à 21:08

    Cruel destin d'une femme qui ne souhaitait que faire du bien. Encore une bien triste histoire qui met en exergue le sentiment le plus douloureux qui puisse exister en ce bas- monde, et qui est malheureusement trop présent, je veux parler de l'injustice, bien sûr.

    Merci ami Dông Phong pour cette désolante aventure, néanmoins  si bien contée.

    Je te souhaite à toi et à tes chers,  une fin de semaine agréable, que je vais mettre à profit, pour regagner mon charmant penty de Moguériec...............avec le plein de carburant !!!!......et ce pour une période de trois semaines ........ , sans ordinateur, ce qui signifie une absence de com. de ma part, sur ton blog que j'apprécie tant !

    En toute amitié,

    Jakez

      • Samedi 28 Mai 2016 à 07:56

        Bonjour Jakez,

        J'ai oublié de préciser que Quan Âm (Guan Yin en chinois) est une des divinités les plus vénérées dans le bouddhisme Mahayana de l'Extrême Orient.

        Bonnes vacances à toi en Bretagne où le soleil brille !

        Bien amicalement.

        Dông Phong

         

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