• Contes et légendes du Viêt Nam (6)

     

    Papy, conte-nous ta terre lointaine (6)

     

    6. Le coucou

     

    Avez-vous entendu « coucou ! coucou ! », mes chers petits-enfants ? C’est le printemps, car voilà le coucou qui nous revient après avoir passé l’hiver très loin sur les bords du Nil.

     

    Mais dans ma terre lointaine, les gens, qui parlent évidemment le vietnamien et non pas le français, croient entendre le coucou chanter « tu hú ! » (à prononcer : « tou hou’ ») et non « coucou ! » comme nous ici. Et ils en donnent l’explication par la légende suivante :

     

    Il était une fois, il a très très longtemps, deux frères jumeaux nommés Patient et Impatient qui étudiaient dans un monastère pour devenir des bonzes accomplis, c’est-à-dire des saints hommes. Ils étaient entrés ensemble dans ce monastère depuis presque vingt ans et espéraient obtenir un jour leur diplôme de bonze, quand ils auraient appris tous les livres sacrés et les rites du culte bouddhiste.

     

    Mais, bien que frères jumeaux, ils avaient des caractères très différents : Patient était toujours calme et souriant, alors qu’Impatient était toujours pressé et grognon.

     

    Puis, un jour arriva ce qui devait arriver : seul Patient obtint son diplôme que lui remit solennellement le Supérieur du monastère lors d’une grande cérémonie devant l’autel du Bouddha.

     

    La nuit suivante, Impatient revint devant l’autel pour se plaindre auprès du Bouddha de l’injustice qui lui était faite :

     

    - Ô grand Bouddha j’ai étudié aussi longtemps et aussi sérieusement que mon frère. Mais lui seul a obtenu le diplôme que nous attendions. C’est vraiment injuste !

     

    - Mon enfant, tu as bien étudié autant que ton frère, mais ton cœur est toujours bouillonnant. Pour devenir bonze, il faut que tu apprennes la patience et l’humilité. Moi-même, avant de devenir Bouddha, j’ai dû rester assis à méditer sous un banian pendant sept ans sans bouger !

     

    - Mais grand Bouddha, sept ans c’est horriblement long ! Si je vous montre que je peux rester assis à méditer pendant deux ans, est-ce suffisant pour vous démontrer que je suis aussi capable d’acquérir de la patience ?

     

    - D’accord, lui répondit le Bouddha. Essaie, et nous verrons bien.

     

    Le lendemain, dès l’aube, Impatient quitta le monastère et se rendit dans la forêt. Il choisit un gros banian et s’assit en tailleur à son pied.

     

    Depuis ce jour, il ne bougeait plus et passait son temps à méditer et à prier dans cette position. Les fourmis et d’autres insectes le chatouillaient, mais il ne bougeait absolument pas, tellement il avait envie de réussir son épreuve.

     

    Il restait comme çà pendant vingt-deux mois, quand un couple de petits passereaux vint construire son nid sur son épaule gauche. Impatient les laissait faire, toujours sans bouger.

     

    Un mois après, naissaient quatre oisillons qui avaient faim du matin au soir. Leurs parents devaient continuellement se relayer pour aller leur chercher des nourritures.

     

    Un après-midi, ce fut au tour de la femelle d’aller chercher à manger pour les petits. Elle avait beau survoler la forêt, puis les prairies des alentours, mais il n’y avait pas un seul vermisseau en vue. Au crépuscule, sur le chemin du retour, elle aperçut une araignée qui tendait sa toile sur une immense fleur de lotus rose, au milieu d’un lac. « Quelle aubaine ! », se dit-elle en fonçant dessus. Cependant l’araignée, en voyant arriver l’oiseau, s’enfonça dans le cœur de la fleur pour s’y cacher. La femelle se posa sur la fleur  et essaya de dénicher l’insecte avec son bec. Mais elle ne savait pas que la fleur de lotus se refermait brusquement chaque soir au coucher du soleil. Et la pauvre femelle y resta prisonnière jusqu’au lever du jour suivant.

     

    Quand elle revint au nid au petit matin, le mâle lui fit une scène épouvantable, car étant très jaloux il croyait que sa compagne était partie toute la nuit s’amuser ailleurs. Il hurlait à tue-tête, et le pauvre Impatient, déjà très fatigué et bien affaibli, n’en put plus ! D’une chiquenaude, il se débarrassa du nid avec tous les oiseaux dedans.

     

    Après ce geste, Impatient se sentit tout honteux. « Voilà vingt trois mois de patience fichus en l’air ! », se reprocha-t-il.

     

    Il se releva, puis se prosterna jusqu’à terre pour invoquer le Bouddha et lui demander pardon. Alors celui-ci lui apparut immédiatement :

     

    - Quel dommage ! lui dit-il. Tu n’étais plus qu’à un mois de la fin de ton épreuve ! Mais tu as choisi un exercice trop long et trop dur pour toi. Cependant, je te donne une deuxième chance : retourne à la vie civile, et tu pourras apprendre la patience dans la vie quotidienne parmi les habitants de la région. Et quand je verrai que tu es devenu très patient, je dirai au Supérieur du monastère de te donner ton diplôme de bonze.

     

    Impatient remercia le Bouddha et retourna à son village. Et pour gagner sa vie, il acheta une barque et travaillait comme passeur sur le fleuve voisin. Il se montrait toujours poli, patient et serviable avec ses passagers.

     

    Au bout d’un an, voilà que se présenta une dame de la ville accompagnée de son jeune fils. Elle paraissait très acariâtre, et à peine montée sur la barque, elle apostropha Impatient en lui criant :

     

    - Hé passeur, rame prudemment, car je ne veux pas me retrouver au fond du fleuve !

     

    - Oui Madame, lui répondit calmement et humblement Impatient.

     

    Mais quand la barque dépassa le milieu du fleuve, la dame cria de nouveau :

     

    - Fais demi-tour, passeur ! J’ai oublié ma valise chez les amis que j’ai visités. Va me la chercher tout de suite !

     

    Impatient lui obéit calmement et humblement. Et après avoir ramené la valise sur la barque, il reprit ses rames pour traverser le fleuve.

     

    Encore une fois, après un bon quart d’heure de traversée, la dame hurla de nouveau :

     

    - Demi-tour, passeur ! Mon fils a oublié ses chaussures sous le lit à la maison de mes amis. Va me les chercher immédiatement !

     

    N’en pouvant plus devant tant d’arrogance, Impatient se leva et cria à son tour :

     

    - Pour qui vous prenez-vous, vilaine mégère ! Je ne suis pas votre domestique !

     

    Et en se levant brusquement ainsi, il fit chavirer la barque, et la dame tomba à l’eau.

     

    Mais Impatient vit la dame s’envoler dans l’air, auréolée d’une lumière éclatante : il comprit instantanément que c’était la déesse de la Miséricorde Quan Âm qui était envoyée par le Bouddha pour éprouver sa patience après un an d’exercice, selon la promesse qu’il avait faite à celui-ci.

     

    Trop honteux, Impatient se jeta dans le fleuve pour se suicider ! Heureusement, la déesse revint dare-dare pour le sauver et le ramener à moitié mort sur la rive du fleuve. Et dans sa miséricorde, elle lui offrit une nouvelle chance de devenir bonze un jour, en le transformant en un coucou pour qu’il se rachète dans une nouvelle vie. Mais cet oiseau continue de crier le désespoir d’Impatient : « tu hú ! » (à prononcer : « tou hou’ »), ce qui veut dire « moine raté » en vietnamien.

     

    Quant à la déesse de la Miséricorde Quan Âm, je vous en parlerai un jour, mes chers petits-enfants, si vous êtes sages !

     

     

     

    Source. 

     

    Sự tích chim tu hú (La légende du coucou), in Nguyễn Đổng Chi, Kho tàng truyện cổ tích Việt Nam (Le trésor des légendes et des contes du Việt Nam), op. cit., t. 1, pp. 116-118.

     

     

     

     

     


  • Commentaires

    1
    Jacques Premel-Cabic
    Mardi 22 Septembre 2015 à 10:21

    Coucou me revoilou, ami Dông Phong, après mon escapade bretonne. Quel bonheur de retrouver ton blog magnifique, avec ce conte vraiment superbe, dont je viens de me délecter.

    J'espère que tout va pour le mieux du possible, pour toi et tes chers .

    En toute amitié,

    Jakez

     

     

     

    2
    Mercredi 23 Septembre 2015 à 07:50

    Bonjour Jakez,

    Moi aussi, je suis heureux de te retrouver.

    J'espère que tu apprécieras aussi les contes qui suivront.

    Bonne journée,

    Très amicalement.

    Dông Phong

     

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :