• Contes et légendes du Viêt Nam (11)

     

    Papy, conte-nous ta terre lointaine (11)

     

    11. La pastèque

      

    - Papy ! Après la plage où il a fait si chaud, nous avons faim et soif ! Peux-tu, s’il te plaît, nous offrir quelque chose de frais et de bon pour nous faire plaisir ?

     

    - Mais bien sûr, mes chers petits-enfants. Quand il fait chaud comme cet après-midi et qu’on a à la fois faim et soif, il faut manger de la pastèque. Je vais vous en couper quelques morceaux.

     

    - Mais pourquoi la pastèque ?

     

    - Je vais vous raconter cette légende et vous comprendrez !

     

    Il était une fois un jeune homme étranger nommé Mai qui fut vendu comme esclave à l’un de nos rois Hùng. C’était un bel athlète à la peau très sombre.

     

    Mai était non seulement un homme bon et généreux, il était aussi très intelligent et très cultivé. Il savait suggérer de judicieux conseils au roi chaque fois qu’un problème se présentait à la Cour. Celui-ci le lui rendait bien et lui donna même une de ses filles en mariage. De cette union, naissaient plusieurs beaux enfants métis.

     

    Mai devenait ainsi l’un des personnages les plus en vue de la Cour. Mais il y avait tant de gens de l’entourage du roi qui le jalousaient.

     

    Un soir Mai offrit un grand dîner en l’honneur de plusieurs ministres du roi.

     

    - Comme le roi vous a gâté, cher ami, lui dit un invité en montrant la table couverte de victuailles !

     

    - Mais non, cher Seigneur, répondit Mai. Ce n’est pas le roi qui m’a gâté, mais le Ciel qui m’a récompensé de mes vertus !

     

    Or ce ministre, qui était aussi un des proches du roi, était très jaloux des faveurs que le souverain accordait à Mai. Le lendemain, profitant de se trouver en tête à tête avec le monarque, il lui rapporta perfidement :

     

    - Savez-vous, Sire, que Mai a dit hier que ses richesses proviennent seulement de la bénédiction du Ciel et non pas des bontés qui vous lui prodiguez ?

     

    - Ah, l’ingrat ! cria le roi avec fureur. Comment peut-il prétendre cela ? Il veut donc se mettre à ma place sur mon trône ? C’est un renégat en puissance !

     

    En effet, autrefois dans ma terre lointaine, seul le roi pût avoir des relations avec le Ciel : c’est pourquoi on l’appelait le Fils du Ciel.

     

    Mai fut donc arrêté et traduit devant la Cour Suprême de justice pour être jugé de son crime de lèse-majesté et de trahison. Évidemment, les juges, qui craignaient tous pour leur situation s’il se produisait un changement de dynastie, le condamnaient à mort.

     

    Heureusement pour Mai, un vieux conseiller du roi, réputé pour sa grande sagesse, intervint en sa faveur :

     

    - Majesté, Mai a certes commis un crime de lèse-majesté. Mais il ne l’a fait qu’en des paroles maladroites, il n’a jamais rien fait de mal. Je vous en supplie, commuez sa peine de mort en une simple condamnation à l’exil. Vous gagnerez ainsi la renommée d’être un roi juste et indulgent.

     

    Le roi, en se souvenant des bons services passés de Mai, se rangea à l’avis du vieux sage. Il condamna Mai à être déporté sur une île déserte loin de la côte. Mais, quand même rancunier, il voulut donner une leçon à Mai : il ne lui permit d’emmener que quelques sacs de riz, juste de quoi se nourrir pendant un mois ou deux.

     

    Quand Mai fut amené au bateau militaire qui devait le transporter jusqu’à son île, sa femme – une fille du roi, rappelons-nous – le rejoignit sur le quai avec leurs enfants.

     

    - Nous voulons venir avec toi et partager ton sort, lui dit-elle.

     

    - Mais ma chérie, c’est une île déserte où il n’y a rien à manger !

     

    - Ne t’inquiète pas, mon mari bienaimé ! Ne dit-on pas couramment que « tant que le Ciel produit des éléphants, le Ciel fera pousser de l’herbe » ?

     

    - Mais nous ne sommes pas des éléphants qui mangent de l’herbe !

     

    - Çà ne fait rien, montons à bord et partons !

     

    Mai dut ainsi accepter que sa femme et ses enfants vinssent vivre avec lui sur l’île déserte.

     

    Et c’était vraiment une île déserte ! Il ne s’y trouvait aucun être vivant, même pas le plus petit rongeur. Heureusement, il y avait une maigre petite source qui leur fournissait un peu d’eau fraîche.

     

    Au bout de quelques semaines, leurs sacs de riz étaient vite épuisés.

     

    Voilà qu’arrivèrent du côté de l’ouest six magnifiques oiseaux multicolores que ni Mai ni sa femme n’avaient jamais vus auparavant. Chaque oiseau déposait aux pieds de Mai et de sa femme une petite graine noire avant de s’envoler de nouveau vers l’ouest.

     

    Les jours suivants, les graines germaient et donnaient naissance à d’innombrables lierres qui couvraient une large surface du sol. Puis sur chaque branche apparurent plusieurs fruits de couleur vert sombre qui grossissaient de jour en jour pour atteindre chacun la taille d’une dizaine de melons réunis.

     

    Mai et sa famille commençaient à avoir très faim. En désespoir de cause, il prit son couteau et ouvrit un de ces fruits inconnus. L’intérieur étaient rouge vif, piqué de graines noires. Mai en porta un morceau à sa bouche pour goûter. Que c’était bon ! Le fruit était très juteux et très sucré. Il cueillit d’autres fruits et les offrit à sa femme et à ses enfants qui s’en délectaient, d’autant qu’ils avaient très faim.

    .

    Pendant ce temps, les lierres apportés par les oiseaux se développaient et couvraient une bonne partie de l’île, chaque plante étant chargée de plusieurs gros fruits. Mai et sa famille furent ainsi sauvés de la faim et de la soif.

     

    Mais, comme ils ne connaissaient pas le nom de ce fruit inconnu, ils le baptisèrent dzua tây ou  melon de l’ouest, en pensant avec reconnaissance que c’était le Ciel qui le leur avait envoyé. En effet, les oiseaux étaient venus de l’ouest et c’est à l’ouest que se trouve la Forêt de Bambous Célestes, c’est-à-dire le paradis.

     

    Puis un jour, pour échapper à la tempête qui faisait rage, un bateau de pêcheurs accosta l’île pour se mettre à l’abri. Mai et sa femme leur offrir à manger avec la seule nourriture qu’ils avaient : le fameux melon de l’ouest. Les pêcheurs en furent enchantés, car ils n’avaient jamais mangé de fruit aussi délicieux et aussi rafraîchissant.

     

    Les pêcheurs repartirent quelques jours plus tard, quand la tempête s’était enfin calmée. Mai leur offrit plusieurs paniers de melons et, pour le remercier, les pêcheurs lui donnèrent en échange les quelques poissons qu’ils avaient pu pêcher avant d’arriver sur l’île.

     

    Revenus au pays, et comme ils n’avaient pas pu pêcher beaucoup de poissons, ils revendirent les melons au marché pour gagner un peu d’argent. Ce fut immédiatement un grand succès : tout le monde voulait en acheter !

     

    Par la suite, les pêcheurs et leurs collègues bateliers revenaient souvent chercher des cargaisons entières de melons de l’ouest en échange de riz, de viandes, de poissons, et de tout ce dont Mai et sa famille pouvaient avoir besoin. Il s’ensuivit un véritable commerce entre la région côtière et l’île.

     

    Mai et sa femme devenaient ainsi des agriculteurs très prospères qui pouvaient se loger maintenant dans une grande ferme bien confortable où, en plus de la culture de melons, ils élevaient des porcs, des vaches, des canards et des poules.

     

    Pendant ce temps le roi se morfondait dans son palais, en regrettant amèrement l’absence de Mai. En effet, depuis le départ de celui-ci, il n’était plus entouré que de vils courtisans, flatteurs mais inefficaces. En outre, il faisait très chaud cet été, et une invasion d’insectes détruisait toute la récolte de riz.

     

    Un jour, le préfet de la région côtière vint à la Cour et offrit au roi quelques melons de l’ouest. Le roi, qui s’en était régalé, se renseigna sur l’origine de ce fruit inconnu. Le préfet, en hésitant, avoua :

     

    - Ces melons sont produits par Mai et sa famille sur l’île déserte où ils avaient été déportés.

     

    - Grâce au Ciel, ils sont donc vivants, sains et saufs, s’écria le roi, ravi d’apprendre cette bonne nouvelle. Pourquoi personne ne m’en n’a jamais parlé ?

     

    - Nous n’avons pas osé, car Votre Majesté avait condamné Mai à l’exil !

     

    - Mai avait donc raison quand il disait qu’il était béni du Ciel. Qu’on envoie vite ma galère royale pour le ramener avec sa famille !

     

    Ainsi Mai et sa famille retrouvèrent leur place à la Cour auprès du roi, pendant que le courtisan qui l’avait calomnié croupissait en prison après avoir été condamné pour traitrise.

     

    - Quel est donc ce melon si merveilleux, papy ?

     

    - Mais c’est la pastèque que vous êtes en train de déguster, mes chers petits-enfants ! Ne l’avez-vous pas deviné ?

     

     

    Source.

     

    ‘‘Sự tích dưa hấu’’ (‘‘Légende de la pastèque’’), in Nguyễn Đổng Chi, Kho tàng truyện cổ tích Việt Nam (Le trésor des légendes et des contes du Việt Nam), op. cit., t. 1, pp. 97100.

     

     

     


  • Commentaires

    1
    Jacques Premel-Cabic
    Samedi 23 Janvier 2016 à 09:28

    Grand merci cher Roi Hung, pour  cette merveilleuse histoire, peut-être la plus belle, depuis que je lis,  et toujours avec un plaisir incomparable, les contes fabuleux de ta Terre Lointaine.

    Honneur à la pastèque qui vient souvent nous hydrater les papilles, quand la chaleur nous incommode, un fruit qui hélas ici, en Vent d'Ouest, s'avère bien moins juteux et bien moins sucré que celui auquel tu rends si magnifiquement hommage.

    En espérant de la douceur autour de toi et de tes chers, et ce en dépit de tout,

    en toute amitié,

    Jakez

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    2
    Lundi 25 Janvier 2016 à 15:43

    Oui, cher Jakez, c'est un conte fort...juteux !

    Mais il y en aura d'autres !

    Bien amicalement.

    Dông Phong

     

     

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